La Turquie et l'UE: halte aux faux arguments

Publié le par lapetiteboite.over-blog.fr

Jeudi dernier une cinquantaine de députés UMP, MPF, et nouveau centre ont déposé un amendement au projet de loi de finance 2010, visant à supprimer la contribution francaise dans les crédits de préadhésion versé à la Turquie. Cet amendement est avant tout pour ces députés l'occasion politique de réaffirmer leur opposition à l'adhésion de la Turquie à l'UE. En effet cet amendement n'a juridiquement aucune chance de passer puisque la contribution francaise au budget de l'UE (18 milliards d'euros), est un paquet, et une fois versé, la France ne peut pas choisir de contribuer plus ou moins à telle ou telle politique. C'est donc par pur opportunisme politique que ces députés agissent ainsi que pour nous remarteler les mêmes arguments contre l'entrée de la Turquie. Mais la plupart de ces arguments sont fallacieux. Ces derniers sont d'ailleurs clairement rappelés dans le communiqué publié par les signataires: "Les francais ne comprennent pas que l'on encourage financièrement ce pays à faire des réformes, non pas par ostracisme mais parce que la Turquie n'est pas dans l'Europe. C'est une évidence tant sur le plan géographique qu'historique. Il est paradoxal de continuer à verser des fonds qui servent à atteindre un objectif souhaité ni par les francais, ni par les turcs" . L'objectif de cet article n'est pas de discuter de la possibilité de la Turquie de rentrer dans l'UE, mais simplement de dénoncer un certain nombre de faux arguments.

Avant toute choses portons notre attention sur les montants ridicules des crédits de préadhésion versés à la Turquie. 900 millions d'euros sont versés sur la période 2008-2013 à la Turquie, ce qui représente 12 euros par turcs sur 5 ans, la part francaise s'élève à 127 millions d'euros sur 5 ans l'équivalent de 25 minutes de PIB. L'objectif de l'adhésion ou même de partenariat privilégié d'un pays de 70 millions d'habitants avec un poids stratégique aussi important mérite, sans doute plus que 25 minutes de PIB sur 5 ans.
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Argument: La Turquie n'est pas dans l'Europe

Selon certains, seul la rive occidentale du bosphore (4% du territoire turque) serait en Europe, et donc la Turquie ne serait pas en européenne géographiquement. Qui a dessiné les frontières géographiques de l'Europe ? Des géographes ? Que nenni, l'Europe de "l'atlantique à l'oural" a été dessiné par le Tsar Pierre le Grand au XVIIIème siecle, soucieux de prouver que l'Empire russe était européen... Le Bosphore est il une frontière naturelle ? Pas plus que l'Oural, chaine de montagnes de taille moyenne et très facilement franchissable. Comme l'a très bien dit Jean Francois Bayart, chercheur au CERI, "les stambouliotes empruntant quotidiennement les ponts suspendus reliant les deux rives, n'éprouvent au petit matin aucun vertige inter-continental, ni ne revivent l'épopée de Darius ou d'Alexandre". En effet si l'on prend l'idée de frontières naturelles, il serait grotesque de dire que le Bosphore au centre d'une ville millennaire de 12 millions d'habitants, que même une ligne de tram traverse constitue une frontière intercontinental. En revanche, toujours dans une perspective de frontières naturelles, il serait légétime d'interroger l'européannité de Chypre, situé à "une encablure" du Liban.

Argument: La Turquie n'est historiquement et ethniquement pas européenne.

On appelait l'Empire Ottoman en 1914 "l'homme malade de l'Europe". L'Empire Ottoman s'étendait jusqu'aux portes de Vienne, et participait à tous les sommets européens. Elle a été au centre des alliances européennes de la première guerre mondiale, en s'alliant dès 1915 à la triple alliance. L'empire Byzantin a été chrétien avant même la Gaulle, et a dominé l'Europe jusqu'en 1453, avant d'être Byzantin puis Ottoman, l'Empire était "Romain". Ethniquement une part non négligeable de pays est peuplée de population balkanique. 

Diplomatiquement la Turquie est plus Européenne que moyen-orientale, Jean Francois Bayart montre que "la rancoeur de la trahison dont se seraient rendus coupable les arabes à l'encontre de l'Empire Ottoman lors de la première guerre mondiale, est pour le dire directement, un solide fond de préjugés racistes, et tempèrent la solidarité panislamique des anatoliens. Pour rappel la Turquie a rejoint l'OTAN avant la RFA (1952).

Argument: La Turquie ne tiendra pas économiquement à l'ouverture de ses frontières.

Il est vrai que l'économie turque a encore de sérieuses lacunes, son PIB équivaut à celui de la Belgique, pour une population 7 fois plus importante. Cependant, il est important de rappeller que la Turquie à un régime économique ultra-libéral, contrairement à ce que certains prétendent elle ne se subira pas un "choc liberal européen". Par ailleurs depuis 1995, une union douanière existe entre l'Europe et la Turquie, cette union a été étendue en 2005, et abaisse les barrieres douanières entre l'Union européenne et la Turquie. Et depuis 1995, l'économie turque n'a pas été submergée par l'économie européenne, bien au contraire.

Argument: Les turcs ne veulent plus adhérer à l'UE.

Cet argument a été développé très recemment, depuis qu'un sondage a montré qu'une majorité de turcs sont opposé à l'entrée de leur pays dans l'UE. Or ici il y a une transformation de la question, la question n'était pas: "Voulez vous que la Turquie adhère à l'UE ?" mais "Pensez vous que la Turquie va adhérer à l'UE ?". Cela traduit bien plus le découragement des turcs face aux arguments fallacieux des européens, qu'un manque de volonté d'adhérer à l'UE. Seulement certains profitent de la politique pro-arabe d'Erdogan pour transformer l'information.

Alors messieurs les députés, si vous vous opposez à l'entrée de la Turquie dans l'europe, opposez lui de vrais arguments, les droits de l'Homme, la capacité d'absorbtion de l'UE, la question chypriote, et pas de faux arguments indigne de représentants du peuple francais.

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Q
<br /> Pour moi la question même de la place géographique de la Turquie, en Europe ou hors de l'Europe, n'est pas pertinente. L'Union Européenne n'a pas vocation à rassembler des Etats sur des critères<br /> géographiques. C'est un rapprochement économique et politique, qui se nomme "Europe" uniquement parce que les nécessités l'on fait naitre entre la France et l'Allemagne : l'argument géographique ne<br /> fait que masqué l'argument culturel, à savoir "ils sont musulmans", argument pas totalement absurde, une communauté politique est plus simple à mettre en place sur des bases culturelles partagées,<br /> mais qui doit s'assumer comme tel.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> @ Maxime,<br /> <br /> "Le général turc Sabri Yirmibesoglu a admis que pendant l’invasion en 1974 de Chypre, les forces militaires turques ont brûlé délibérément des mosquées et ont fait porté la responsabilité de ces<br /> actes sur les chypriotes grecs pour galvaniser les Chypriotes Turcs.<br /> <br /> C’est la même provocation qui a été employée par l’État en 1955, quand un cocktail molotov jeté par un membre turc des services secrets dans la maison de Mustafa Kemal a déclenché le pogrom de<br /> septembre 1955 contre les grecs d’Istanbul."<br /> <br /> http://www.armenews.com/article.php3?id_article=64234<br /> <br /> ... Et l'élimination physique de la population grecque-chypriote a, lui, bien eu lieu en zone Nord, avec la destruction méthodique de ses lieux de culte et de son patrimoine.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> La question chypriote est un argument discutable lui aussi. L'opération militaire turque de 1974 a eu lieu pour éviter que les terroristes grecs-chypriotes d'extrême droite, l'EOKA, ne finissent ce<br /> qu'ils avaient commencé depuis 1955, c'est-à-dire l'élimination physique de la population turque de l'île. L'opération a été jugée légale par la cour d'appel d'Athènes. Depuis, les torts sont très<br /> partagés dans la difficulté à trouver une solution politique : http://www.turkishweekly.net/columnist/2773/an-overview-eu-39-s-commitments-on-northern-cyprus-how-realistic.html<br /> <br /> <br />
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